Un transfert de prisonniers a été prévu par l'Etat pour octobre 2009, de
l'ancienne prison de Poitiers vers la nouvelle prison-Bouygues de Vivonne.
Pour le 10 octobre 2009, une journée anti-carcérale avait été proposée par
un collectif militant local, afin d'ouvrir le débat public sur une
critique du système carcéral.
Il s'agissait de rassembler les gens, pour débattre des alternatives au
système du châtiment et de la violence carcérale, et manifester une
opposition digne et résolue à cette nouvelle prison. La journée
s'articulait autour du « 23 », un lieu associatif qui avait bien voulu
prêter ses locaux ce jour, pour des débats et un concert.
La journée a commencé vers midi par un débat très riche pour la qualité
des interventions diverses. Un débat de fond, sur l'avenir des luttes
anti-carcérales, devait avoir lieu le soir, suivi d'un concert pour lequel
des groupes avaient fait le déplacement.
Pour montrer qu'il y a des gens qui protestent contre la construction de
cette prison de nouvelle génération, un rassemblement en centre-ville
était aussi prévu l'après-midi. Un rassemblement dit « festif », dans le
respect de l'esprit du festival culturel des Expressifs qui avait alors
lieu à Poitiers.
Mais la manifestation qui a suivi le rassemblement a été investie par des
personnes qui avaient semble-t-il d'ores et déjà choisi d'autres façons de
protester - selon des modes opératoires qui ont totalement pris au
dépourvu nombre de participants. Cette minorité a peu à peu pris le
contrôle de la manifestation, qui a rapidement dégénéré en un rapport de
force entre certains manifestants et la police (tirs de flashball contre
fusées et pétards). La manifestation a soudain reflué vers le centre-ville
et a donné lieu aux dégradations matérielles aujourd'hui amplement
relayées par les médias et les autorités.
Il ne nous appartient pas de juger les actes commis en eux-mêmes,
puisqu'ils ne sont pas les nôtres. Ils peuvent être compréhensibles, si
l'on analyse la plupart de leurs cibles : des vitrines d'agences de
banques ; une agence de Bouygues (dont la maison-mère a construit cette
nouvelle prison de Vivonne, gère son entretien et à qui l'Etat verse un
généreux loyer) ; des cabines de France Telecom, l'entreprise aux 25
récents suicides ; du « mobilier urbain » à destination publicitaire...
Il est important de dire qu'il n'y a eu aucune violence délibérée contre
la population.
Néanmoins, si nous aussi dénonçons la violence insupportable de ce système
qui mène le monde droit au mur et brise les individus, nous sommes en
désaccord profond avec cette « stratégie » de destruction.
Ces actions n'ont en effet été l'initiative que des individus qui les ont
choisies ; or, elles ont immédiatement impliqué un grand nombre de
personnes qui n'étaient ni prévenues ni préparées, et dont beaucoup
n'étaient pas d'accord avec ces méthodes. Elles ont délibérément été
commises dans le cadre d'une manifestation publique, mettant ainsi en
danger tous les participants. Aucune personne ayant choisi ces actions ne
pouvait ignorer que la mise en ?uvre de celles-ci donnerait lieu, face à
un Etat de nature fondamentalement répressive, à des réponses policières
et judiciaires aux graves conséquences locales.
En effet, cette répression s'est bel et bien abattue, d'une véritable
violence, aveugle. Descente policière massive et brutale contre « le 23 »,
qui n'avait strictement rien à voir avec les débordements de la
manifestation. Le concert a été annulé, du matériel sono dégradé, le
public et les bénévoles malmenés par la police, pendant cinq heures :
plaquages au sol ou mise à genoux, matraquages, menaces, insultes, mains
sur la tête, photos systématiques...
La répression, ce furent aussi des dizaines d'arrestations arbitraires,
dont 18 donnant lieu à des gardes à vue éprouvantes. La police,
bizarrement absente lors des débordements, s'est mobilisée en nombre pour
le procès du lundi 12 octobre.
Le gouvernement, par la voix de l'inénarrable monsieur Hortefeux téléporté
sur Poitiers, en profite étrangement pour ressortir les lois de 1936 de
derrière les fagots contre les « groupuscules ». Mais aussi pour pondre
deux nouveaux décrets (à valider par le conseil d'Etat), consistant en
deux nouveaux fichiers sur les lieux communautaires et sur les
« groupuscules » supposés à l'origine de ces actes. On peut aussi
s'interroger sur la cohérence d'une démocratie sensée s'inspirer de cette
vieille théorie sur la séparation des pouvoirs, avec un ministre qui
débarque à Poitiers pour un procès en comparution immédiate, demandant des
peines exemplaires. Montesquieu doit se retourner dans sa tombe...
Huit gardes à vue ont en effet débouché sur des comparutions immédiates
forcées. Trois condamnés à la prison ferme (de un à quatre mois) plus du
sursis et des amendes, dont deux ayant tout juste vingt ans. Pour les
autres, du sursis allant de trois à six mois et des amendes. Tous des
boucs-émissaires, n'ayant jamais commis les faits qui leur sont imputés,
des preuves à l'appui de leur non-implication dans ces faits ayant été
écartées volontairement, ainsi que des témoignages.
Pour les dix autres personnes, relâchées à l'issue de leur garde-à-vue,
trois sont poursuivies pour refus de prélèvement ADN. Dont une, mineure de
quatorze ans ( !), subira des poursuites pour « rébellion », une
accusation policière qui frise le grotesque quand on connaît un tant soit
peu la jeune fille.
Enfin, et c'est sans doute l'une autres tristes conséquences à long terme
de cette manifestation et de la répression qui s'en est suivie : c'est
tout le travail de fond, de nombreuses années, des militants libertaires
auprès de la population, dont beaucoup étaient venus pour débattre
d'alternatives à la prison, qui a été saccagé ce jour-ci - en trente
minutes seulement.
Bien sûr, en tant qu'anarchistes, nous devrons analyser tou-te-s ensemble
ces événements et leurs retombées.
Mais aujourd'hui, la priorité, ce sont les personnes enfermées en prison.
Dans cette horrible prison de Vivonne, qui est le point de départ de tout
cela. C'est le désarroi général, du côté des gens qui militent comme des
gens qui vivent ici. Et la colère, face à tant d'injustice, tant ces
condamnations sont révoltantes par leur absurdité. Bien au-delà de nos
rangs, nous appelons immédiatement à soutenir toutes les victimes de cette
parodie de justice, et nous appelons à la vigilance, face à toutes celles
à venir.
Groupe Pavillon Noir (Fédération anarchiste - Poitiers), le 13 octobre 2009
[ expediteur/expeditrice : "Secrétariat aux Relations Extérieures de la FA"
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