Abstentions européennes
Romain Consant, juin 2007
Gr Louise Michel
Les élections européennes 2009 ont été marquées par une forte abstention : environ 55% à l’échelle de l’Europe, et près de 60% en France, record historique. Ceci signifie-t-il que la population européenne est de plus en plus acquise au discours anarchiste qui met en garde contre la mascarade électorale ? On peut en douter.
Pour des raisons d’actualité chargée, cet article n’est pas paru dans le monde libertaire.
Les élections des députés au Parlement européen ont un statut à part en politique. Elles sont souvent perçues comme des élections de second ordre, sans réel enjeu et permettant donc aux électeurs de manifester leur mécontentement vis à vis de la classe politique. Les médias ont beau déplorer la faible participation, ils sont les premiers à se désintéresser des questions européennes. Difficile en effet d’en vouloir au citoyen lambda de ne rien savoir du Parlement européen alors que seules les débats (ou plutôt les petites phrases) des parlementaires nationaux sont réellement rapportés et commentés quotidiennement. Nombreuses sont les lois nationales dont l’élaboration est suivie par la presse, qui aime faire le récit des rebondissements, oppositions, blocages et autre amendements. Lorsqu’il s’agit du Parlement européen, plus rien. Pourtant une proportion considérable du droit est aujourd’hui produite par les institutions de l’UE. Sans doute les journalistes jugent-ils les questions débattues au niveau transnational trop techniques pour faire des sujets vendeurs. Si l’on rajoute le fait que les hommes et femmes politiques tendent souvent à replacer les débats dans des enjeux nationaux plutôt qu’européens, il n’y a pas à s’étonner que ce qui se passe à Bruxelles ou Strasbourg paraisse au mieux lointain et au pire dérisoire pour le commun des mortels. Il n’y a certainement pas une forte abstention parce que rien d’important ne serait décidé au niveau européen (la remise en cause du principe même de service public, par exemple, n’est pas chose négligeable), ou parce que les citoyens auraient enfin compris que voter revient à abdiquer et se laisser berner. La faible participation reflète surtout l’impression générale que seule la politique nationale a une réelle influence sur nos vies. La vérité est que la politique nationale, comme la politique européenne, ont des effets tangibles, et que les élections ne permettent pas au citoyen de prendre les choses en main à un niveau plus qu’à un autre. Mais lorsque les médias couvrent avec passion une élection, que le choix proposé est présenté comme fondamental, la participation demeure élevée. En 2007, l’engouement autour du duel Sarkozy-Royal, et le fort niveau de participation, montrent que si l’on fait monter la mayonnaise, on fait se déplacer l’électeur. Il ne faut se faire aucune illusion : la majorité des gens semble toujours espérer l’arrivée du sauveur, celui qui par son volontarisme et ses brillantes idées va rendre la vie meilleure pour tous. Dès qu’on arrive à faire passer l’idée que c’est ce qui se joue dans une élection, la participation est au rendez-vous, quelles qu’aient pu être les désillusions passées. A croire qu’on peut tromper mille fois mille personnes, comme si la soumission électorale était ancrée en nous. Parce qu’il n’y aurait pas d’autre alternative. Parce qu’on est bien content, aussi, de laisser quelqu’un faire à notre place. L’autogestion, si désirable, si nécessaire, sera longue et difficile à mettre en place dans une société ou tout n’est que structures hiérarchiques et déresponsabilisation. A vrai dire, dans la mesure où ceux qui se sont abstenus le 7 juin, dans leur immense majorité, ne l’ont pas fait dans un but de contestation du système représentatif, on en serait presque à déplorer une si faible participation. Parce qu’au final, l’UMP sort gagnante des élections, même si elle ne réunit les suffrages que de 11% environ des électeurs potentiels (un peu moins de 30% des votants), ce qui bien sûr va constituer une bonne excuse pour continuer plus vite et plus fort dans le remise en cause des services publics, la chasse aux sans papiers, le tout sécuritaire, etc. On se consolera en se disant que si le parti de Sarkozy avait essuyé un revers, ça n’aurait probablement rien changé. Mais pourquoi ce succès alors que Naboléon est au plus bas dans les sondages ? Eh bien parce que ce sont avant tout les plus âgés, ceux qui participent le plus, qui votent pour notre très réactionnaire président. L’électorat de gauche, plus jeune, s’est par contre beaucoup moins mobilisé. On le comprend. Résultat, malgré une belle percée des écologistes (quelles leçons en tirer ?), c’est bel et bien la droite qui reste très majoritaire au Parlement européen, en position de force pour continuer à faire de l’Europe une zone de pleine expression du libéralisme le plus débridé et une forteresse sécuritaire. Dire ceci ne revient pas à dire qu’une majorité "de gauche" nous aurait conduit vers une remise en cause du capitalisme, bien évidemment. Sans doute que le parti socialiste européen se serait, au mieux, complu dans l’immobilisme ou aurait, au pire, continué dans la lancée du Parti populaire européen. Ce qui est sûr, en tout cas, c’est qu’il y a une différence radicale entre ne pas aller voter et contester le système représentatif. Abstention sans conscience n’est que ruine du projet révolutionnaire.
Romain Constant